Les documentaires arabes surfent sur la vague de la VàD
Lorsque l'on parle des documentaires de la région Maghreb et Moyen-Orient (MENA), un constat revient souvent : ils ont du mal à trouver leur place dans le monde arabe, que ce soit pour leur production, diffusion ou distribution. Mais certains veulent leur redonner leurs lettres de noblesse, en surfant notamment sur le web. C'est ce que souhaitent en tout cas les fondateurs de la plateforme Minaa, qui propose aux internautes des documentaires du monde arabe à la demande.
Le projet Minaa, qui signifie « port » en arabe est né après huit mois de recherches et d'analyses via l'organisation Creative Documentary Platform. Au cœur des recherches : le documentaire dans le monde arabe. c, l'une des fondatrices de Minaa, explique : « Nous avons voulu comprendre les enjeux du documentaire sur la scène régionale. Nous avons étudié la production, la distribution, la diffusion. Plusieurs domaines clés ont besoin d'aide : le développement ou l'aide à l'écriture créative par exemple. Mais le plus gros besoin, d'après tous nos interlocuteurs, qu'ils soient issus du monde arabe ou pas, est d'améliorer le schéma de distribution et de diffusion. »
Dans le monde arabe, les documentaires créatifs seraient accessibles à moins de trois personnes sur 10 000. « Quand on interroge le public sur ce qu'est un documentaire, ils vont dire la plupart du temps que c'est un film où une personne parle tout du long. Ils ne se réfèrent pas aux documentaires de création, qui sont pourtant plus palpitants ! » ajoute Reem Bader.
De ce constat est née l'idée de la plateforme. Pourquoi se développer sur Internet? Dans la région MENA, 52% de la population aurait accès à Internet. Soit au moins 200 millions de personnes. Des chiffres qui ont très vite parlé aux fondateurs de Minaa, qui ne veulent pour autant pas se limiter à l’Internet. Ils souhaiteraient diffuser leurs documentaires, accompagnés d'interviews des réalisateurs, sur des chaînes de télévision. Autre projet : organiser des discussions, virtuelles ou réelles, entre le public et les réalisateurs.
Le projet est donc lancé officiellement, début juin 2016. Dix-neuf documentaires sont déjà en ligne, la collection devrait doubler d'ici fin août. « Nous choisissons des films qui sont terminés et qui ont déjà été montrés dans des festivals », déclare Reem Bader. Résultat, un large panel est disponible, allant des films artistiques aux films politiques, en passant par des documentaires des années 1970. Un nombre important de pays est représenté : Koweït, Égypte, Tunisie, Liban ou encore Palestine... La plateforme, unique en son genre, n'est pas la première dans cette région.
La VàD en plein boom dans le monde arabe
Janvier 2016 : le leader mondial Netflix annonce qu'il est désormais disponible dans presque tous les pays du monde (la Chine, la Syrie et la Corée du Nord manquent à l'appel). Une présence parfois symbolique, puisque selon des données recueillies par le site Exstreamist, spécialisé dans l'étude des sites de vidéos à la demande (VàD) et de streaming, il existerait un grand déséquilibre entre les offres d'un pays à l'autre. En février 2016, ils ont listé le nombre de titres disponibles par pays. Pour 5 730 films ou épisodes de série aux États-Unis, il y en a cinq fois moins au Liban (1 768 titres). Et le Maroc arrive en dernière position, les utilisateurs ayant le choix entre seulement 157 titres différents. En cause : les droits de diffusion sont différents dans chaque pays.
Face à cette offre réduite, de nombreuses plateformes de vidéo à la demande locales ont voulu prendre le relais. Istikana, Cinemoz et Shahid, parmi les plus populaires dans la région MENA, sont toutes apparues en 2011. Comparativement, Hulu, pionnier dans le domaine, a été créé en 2007. Autre plateforme à succès : Icflix, fondée en 2013. Elle offre du contenu Hollywood, Bollywood et même Jazwood (mot utilisé par ses fondateurs pour décrire les productions du monde arabe). Après trois ans d'existence, le projet a connu un réel succès. Son fondateur Carlos Salim Tibi souhaite que son entreprise devienne le Warner Brothers du Moyen-Orient... et a déjà financé la production de plusieurs films, dont certains primés dans des festivals. Il a également contribué au lancement de la première série mettant en scène une super-héroïne du monde arabe, Dunia.
Icflix comptabilise déjà plus d'un million d'utilisateurs inscrits. Un chiffre qui augmente de 25% par mois selon son fondateur : « Le plus gros défi auquel nous avons dû faire face, c'est la vitesse des connexions Internet qui varie d'un pays à l'autre. » En moyenne, le débit entrant dans les foyers de la région MENA est de 6,1 Mégabit (Mbps) par seconde, et devrait doubler d'ici 2020. Un débit suffisant pour diffuser des films en HD, qui nécessitent actuellement 5 Mbps. Les débits nécessaires pour le streaming deviennent de plus en plus faible. Des possibilités qu'étudient les sites de vidéo à la demande, comme Icflix. Mais il s'agit d'une moyenne, les chiffres sont donc beaucoup plus bas dans certains pays, comme le Liban, connu pour avoir l'un des pires débits de la planète.
Pour Icflix, l'arrivée officielle de Netflix en arabe dans la région est une bonne nouvelle : « Cela va permettre aux clients d'avoir plus confiance pour effectuer des paiements en ligne. Le large choix de films offerts par les différentes plateformes pourrait contrer la piraterie, très présente dans ces pays. » Si la plateforme propose quelques documentaires, principalement via des partenariats avec la chaîne National Geographic ou encore les Nations Unies, ce n'est pas son contenu principal. Il n'est donc pas un concurrent direct de Minaa.
Payer pour voir un film en ligne? Un défi dans la région MENA
L'équipe de Minaa sait qu'en proposant uniquement des documentaires, elle ne s'engage pas dans un projet facile. Leur souhait : laisser quelques films en accès libre et gratuit, bien conscients que dans certains pays, il n'est pas d'usage d'utiliser des cartes bleues, ce qui complique le paiement en ligne.
Mais Reem Bader reste convaincue que le défi pourra être relevé. « En Égypte, c'est une tradition d'aller au cinéma, mais ce n'est pas le cas dans la plupart des pays du monde arabe. Et puis, cela a un coût. En Jordanie par exemple, une place de cinéma coûte environ huit euros. Si une famille de cinq personnes veut aller au cinéma, elle dépensera 40 euros... alors qu'elle peut obtenir le DVD piraté pour un euro... Mais acheter le film sur Internet est une autre histoire, ce n'est pas une habitude dans cette région. Il faudra constamment que l'on ait un équilibre entre le payant, qui nous garantit des revenus, et le gratuit, qui permet l'accès au plus grand nombre. »
Minaa est un projet de longue haleine, Reem Bader est consciente que cela prendra du temps de fidéliser son public : « Cela ne se fera pas en un jour, ni même en un an. Mais je pense qu'il peut y avoir un impact d'ici trois ans, si on reste constant dans notre effort. »
Article réalisé en collaboration avec Cineuropa