FRANCHIR DES BARRIERES VERS UNE PLUS GRANDE MOBILITE CULTURELLE
Pour exposer leur travail, se faire connaître à l’étranger ou encore se former, les artistes du sud de la Méditerranée font face à de multiples obstacles, dont le premier est lié à l’obtention d’un visa pour franchir les frontières.
En 2016, la plasticienne palestinienne Majdal Nateel est sélectionnée pour une résidence en Grèce. Cette artiste installée à Gaza et diplômée de l’école des Beaux-Arts de l’Université d’Al Aqsa apporte toutes les garanties de sérieux dans ce projet. La résidence proposée par le Fonds Roberto Cimetta est financée par un fonds européen et vise « à la promotion de la culture et de la mobilité en tant qu’éléments indispensables dans les relations extérieures de l’Union européenne ». Pourtant, son visa ne lui sera finalement pas accordé.
Première étape pour la mobilité des artistes, l’obtention du visa, ce précieux sésame, nécessite souvent de s’armer de patience. Les processus restent longs et sont encore souvent susceptibles d’aboutir à un refus. D’autant que dans le contexte sécuritaire des dernières années, les règlementations relatives à l’octroi de visas entravent les initiatives mises en place pour combler les écarts entre les pays du Nord et du Sud.
Habitante de la bande de Gaza, Majdal Nateel doit dans un premier temps obtenir une lettre d’invitation d’une institution culturelle ou d’une galerie reconnue dans le pays où elle souhaite se rendre. Cette invitation est destinée à l’ambassade du pays invitant qui se trouve à Jérusalem. Avant de pouvoir se rendre au rendez-vous, elle doit d’abord avoir l’autorisation des autorités israéliennes de franchir la frontière entre Gaza et Israël, ce qui peut prendre jusqu’à quarante jours. « Si je suis chanceuse, raconte Majdal, et que j’obtiens finalement le visa, je dois faire une demande équivalente en Jordanie afin de pouvoir passer la frontière et prendre l’avion ».
L’autre solution est de passer par le poste frontière de Rafah vers l’Egypte. Mais il faut là aussi s’armer de patience : « La dernière fois que j’ai emprunté ce passage, c’était en 2013 pour un vol Le Caire Rome. Une fois l’autorisation de quitter la bande de Gaza obtenue, il faut franchir le poste frontière qui est ouvert seulement quelques jours par an pour des raisons de sécurité ».
DES PROCEDURES LONGUES ET INCERTAINES
Un parcours du combattant que connaît bien Ghassan el Haj. Ce diplômé en Science politique travaille pour le Fekra Arts Institute à Gaza. Lors d’un programme coordonné par MedCulture il a reçu l’autorisation de passer le poste-frontière d’Erez le jour même du vol prévu à destination de Casablanca, lieu de l’atelier. « Les autorités israéliennes m’ont appelé à 9 heures pour me dire que ma demande était acceptée. Impossible de rejoindre l’aéroport d’Amman à temps. Mais grâce aux organisateurs j’ai pu décaler mon vol au jour suivant et finalement rejoindre le Maroc », explique-t-il.
Selon lui, outre le temps long de toute demande, le plus frustrant vient de l’absence de critères objectifs dans l’octroi du visa, « y compris du côté jordanien. Personne ne sait pourquoi sa demande est rejetée. Parfois ça marche, parfois non », regrette-t-il.
En Libye, depuis le début de l’année 2017, tout ressortissant de 18 à 45 ans doit être accompagné pour avoir l’autorisation de quitter le territoire. Raison invoquée : il s’agit d’empêcher les jeunes Libyens de rejoindre les rangs de l’organisation état islamique. Un casse-tête d’autant plus insoluble pour les artistes libyens que la plupart des représentations diplomatiques a fermé dans le pays. Il est donc nécessaire de se rendre à Tunis pour effectuer les démarches, en éprouvant les longues files d’attente du poste frontière de Ras Jedir, pour un trajet total de 750 kilomètres entre la capitale tunisienne et Tripoli.
Impossible de dresser un portrait unique des difficultés auxquelles font face les artistes du sud de la Méditerranée. Pour Omar Abi Azar, membre de la compagnie de théâtre libanaise Zoukak, la mobilité n’est plus un problème : « Nous existons depuis dix ans, et la plupart des membres bénéficient d’un visa Schengen. Mais pour les artistes syriens c’est une autre question. » Plusieurs fois, des projets ont été avortés faute de temps pour déposer les demandes de visas.
Omar Abi Azar dresse un constat amer de la situation du monde culturel arabe pris dans un dilemme : « La dépendance financière et même intellectuelle font que les scènes occidentales sont vitales pour les artistes du monde arabe. Beaucoup de structures en Europe ont travaillé et travaillent toujours sur la question de la mobilité mais cela n'empêche pas la condescendance post coloniale qui régit la relation et qui se traduit par le besoin d’obtenir un visa ».
Qu’ils souhaitent participer à un workshop, exposer leur travail ou développer leur marché, les artistes de la région du sud de la Méditerranée subissent des procédures longues, coûteuses et aléatoires, sans forcément avoir accès à l’information nécessaire pour se renseigner sur les impératifs administratifs. Selon le rapport Visa Restrictions Index[i] de 2015 à 2017, la situation de libre circulation est particulièrement critique pour les ressortissants de pays en guerre (Palestine, Soudan, Érythrée, Yémen, Libye, Somalie, Syrie, Pakistan, Iraq et Afghanistan) ainsi que pour les ressortissants des pays qui traversent des difficultés politiques et économiques, qui peinent à être admis sur le territoire de pays étrangers.
Paradoxalement, selon Marie Le Sourd, la secrétaire générale du réseau On the Move, spécialiste des questions de mobilité artistique et culturelle, les échanges sont également compliqués régionalement : « il est parfois plus facile pour les artistes de la région sud méditerranéenne de se rendre à Berlin qu’à Tunis. Les échanges au sein de la région sont aussi entravés par des questions administratives, de visas et de coûts des transports internes[ii] », résume-t-elle. « De fait, il y a souvent un manque d’opportunités d’échanges dans un contexte régional d’artistes, par exemple marocains, avec leurs homologues jordaniens ou libanais» conclut-elle.
Le Maroc a d’ailleurs décidé depuis 2015 de soumettre toute entrée d’un ressortissant syrien ou libyen sur son territoire à l’obtention d’un visa. En 2016, la Turquie a elle aussi rétabli l’exigence de visa pour les ressortissants syriens. La pièce ‘Alors que je t’attendais’, écrite par le dramaturge syrien Mohammad Al Attar et mise en scène par Omar Abusaada rassemble des comédiens de toute la région. La troupe qui répétait jusqu’alors en Turquie a dû chercher un autre pays pour se réunir, non sans difficulté pour négocier l’obtention de permis de résidence à ces artistes venus de Jordanie, d’Egypte, du Liban ou de Syrie.
DES DIFFICULTES CREATRICES
Face à ce défi enduré et renouvelé, les artistes prennent parfois le contrepied et nourrissent leur travail de ces obstacles. C’est le cas de l’artiste et photographe palestinienne Emily Jacir dont le sujet de la mobilité jalonne les créations. Dans sa série intitulée Sexy Semite réalisée entre 2000 et 2002, elle fait passer des petites annonces afin de convaincre des Israéliens d’épouser des Palestiniens et ainsi de leur offrir la possibilité de voyager. Avec son œuvre Where We Come From, elle utilise le pouvoir de son passeport américain pour briser les frontières, et transmettre des messages de Palestiniens exilés dans les territoires occupés.
De même, le photographe et vidéaste palestinien Khaled Jarrar, plusieurs fois empêché de se rendre à l’étranger pour présenter son travail, questionne le rapport à la frontière, notamment à travers son projet At the checkpoint. Si la mobilité est contrainte, création et imagination sont finalement l’un des vecteurs pour dépasser les barrières.
[i] https://henleyglobal.com/files/download/hvri/HP_Visa_Restrictions_Index_170301.pdf
[ii] http://on-the-move.org/about/ourownnews/article/15173/artists-mobility-and-visas-a-step-forward/