2. Objectifs, stratégies et gouvernance
2. Objectifs, stratégies et gouvernance
Au départ de la France en 1962, l’Etat naissant a intégré aussitôt les deux composantes de l’identité Algérienne dans sa première Constitution de 1963, à savoir l’Arabité et l’Islamité, et dans une moindre mesure, l’Africanité. Par la suite, l’Amazighité a été reconnue comme pilier de l’identité Algérienne à travers la nationalisation –et non pas l’officialisation– de la langue Amazigh dans la Constitution de 1996.
Officiellement, les objectifs de l’Etat en matière de culture ont été conçus pour protéger et promouvoir la grande variété des particularismes culturels et régionaux du peuple algérien[1]. Mais dans les faits, les Algériens sont invités à se reconnaître dans une identité unique, figée dans le premier texte fondateur de l’Etat algérien, à savoir l’Appel du 1er novembre 1954[2], un appel qui a façonné profondément l’idéologie dominante. Cette idéologie, qui définit l’algérianité par deux seules composantes identitaires, c’est-à-dire l’Arabité et l’Islamité, s’accommode mal de la diversité des expressions culturelles pourtant si chère aux discours officiels. Ce paradoxe ne peut être entretenu qu’en occultant certains aspects de la mémoire algérienne et en vidant les identités régionales de leur substance. La sclérose qui frappe les expressions culturelles régionales participe du même déni[3].
Le Festival de promotion des architectures de terre à l’EPAU, le Festival de l’habit traditionnel au palais des Raïs, ou celui de l’Imzad à Tamanrasset, sont mis en vitrine. Pourtant, ils confondent architecture, art, arts décoratifs et artisanat, et contribuent ainsi à figer les expressions culturelles des populations qui les portent, pour les enfermer dans une tradition, rendant difficile le renouvellement ou l’hybridation des genres : c’est la folklorisation[4]. La folklorisation ne se résume pas à l’élimination de l’art des communautés dominées, mais elle procède de la sélection, voire de la création d’un art populaire dévalorisant, dans la mesure où il ne représente pas un « art de vivre », mais le banal vécu quotidien[5].
Cette situation explique en partie pourquoi l’Algérie n’a pas encore ratifié la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion des expressions de la diversité culturelle de 2005, car son contenu met à mal une situation de statu quo culturel entretenue par l’Etat depuis l’indépendance, dans la mesure où cette convention appelle les parties à créer, sur leur territoire, un environnement encourageant les individus et les groupes sociaux pour qu’ils puissent créer, diffuser et distribuer leurs propres expressions culturelles et à y avoir accès.
Sans réelle rupture avec la politique culturelle coloniale[6], l’Etat Algérien se trouve aujourd’hui mal à l’aise face à la diversité des expressions culturelles des citoyens Algériens. Et pour cause, il a reproduit, dès l’indépendance du pays, les mêmes reflexes d’hégémonie, plus ou moins en intensité selon les périodes. Depuis une dizaine d’année, folklorisation, censure, institutionnalisation, mise sous tutelle et patronage systématique sont les principales caractéristiques de la ligne de conduite de l’Etat en matière de culture.
Gouvernance
Le mode de gouvernance du secteur culturel en Algérie est basé sur une grande centralisation des affaires culturelles au niveau du ministère de la Culture. Ce dernier déploie, à travers ses institutions, directions, centres et autres organes sous sa tutelle, son hégémonie sur le secteur (voir schéma 1 ci-dessous).
Au niveau régional, le ministère est représenté par les Directions de la culture implantées dans les 48 wilayas (préfectures) du pays. Sur le plan structurel, les Directions de la culture regroupent les services chargés de la culture au niveau des wilayas et sont organisés en bureaux. Ils comprennent quatre services dont celui des « Arts et lettres » et celui du « Patrimoine ». Le directeur de la culture est nommé par décret présidentiel sur proposition du ministère chargé de la Culture. Les Directions de la culture sont financées directement par le ministère de la Culture. Leur influence est très importante dans les régions. En 2014, le budget global notifié aux 48 directions à travers le pays s’élevait à environ 22 millions de dollars (voir tableau 08).
Par ailleurs, la législation et la réglementation culturelles permettent au ministère de la Culture de définir les statuts des organismes sous sa tutelle, mais aussi de réguler l’activité culturelle et artistique dans son ensemble.
Le secteur culturel privé[7] a une action très limitée et ne joue qu’un rôle mineur dans le secteur. L’édition est l’activité privée la plus répandue. Environ 80 maisons d’édition travaillent dans le secteur qui est largement subventionné par l’Etat. Avec un réseau de distribution très limité (seulement 67 librairies recensées à travers le territoire national) et le prix des livres très élevés, le secteur de l’édition connaîtrait, sans les subventions de l’Etat, de grandes difficultés.
Le secteur culturel indépendant (associations, fondations, etc.) est quant à lui encore à l’état embryonnaire. Les associations culturelles et artistiques bénéficient de seulement 0,2% du budget global consacré à la culture et sont souvent inactives, d’autant plus que l’appareil législatif a instauré des règles rigides qui ne donnent qu’un espace limité aux initiatives culturelles et artistiques indépendantes[8].
Footnotes
- ^ « La prise en compte de la diversité culturelle, c’est-à-dire la défense et la promotion du patrimoine culturel constituent pour nous, une exigence de la démocratie. ». Propos de Mme Khalida Toumi, ministre de la culture entre 2002 et 2014. Discours à la sixième réunion régionale en vue de la promotion de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel.
- ^ Lire l’Appel ici (dernière consultation le 20.01.2014) : http://www.el-mouradia.dz/francais/symbole/textes/1nov54.htm
- ^ Cazeaux M., 2013, « Algérie 2012 : célébrer l’Indépendance de l’Algérie sans les Algériens », dans L’Année du Maghreb, IX, 299-319.
- ^ Idem
- ^ Lavoie G., 1986, « Identité ethnique et folklorisation : le cas des Mongols de Chine », Anthropologie et Sociétés, Volume 10, numéro 2, p. 57-74.
- ^ Kessab A., 2012, “Algeria : from colonial to hegemonic cultural policy”, Pambazuka News, Issue 604 : http://www.pambazuka.net/en/category/features/85128
- ^ Dans ce document, on entend par secteur culturel privé les entreprises privées (dotées d’un registre de commerce, telles que les SARL et les SA), et dont l’objectif principal est le profit.
- ^ « La machine de la législation et de la réglementation culturelle en Algérie s’épuise ». Interview avec Ammar Kessab. elwatan.com, 21.07.2013.