7. Conclusions et recommandations
7. Conclusions et recommandations
Le secteur culturel en Algérie fait face aujourd’hui à de nombreux défis, dont la plupart sont la conséquence de l’hégémonie pratiquée par l’Etat sur le secteur depuis plus de dix ans. Parmi ces défis, l’élargissement des publics et la création d’une vraie industrie culturelle sont, à notre sens, les plus importants.
Concernant l’élargissement des publics, il s’agit avant tout pour les citoyens de se reconnaître dans les expressions artistiques et culturelles présentées dans les espaces officiels, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui car, car nous l’avons vu précédemment, ces espaces ne drainent pas grand monde. Cela concerne aussi bien le théâtre que le cinéma ou les arts plastiques et renvoie à la participation des individus et des groupes sociaux à la création, à la diffusion et à la distribution de leurs propres expressions culturelles. Un des enjeux est de favoriser l’accès de tous à ces expressions culturelles, en conformité avec la Convention de l’Unesco sur la protection et la promotion des expressions de la diversité culturelle. Il s’agit en effet de créer un secteur culturel indépendant, géré de manière autonome, dans lequel les différents groupes sociaux peuvent s’exprimer librement, dans le cadre d’un appareil administratif et réglementaire qui encourage ces expressions plutôt que de les contraindre.
Pour ce qui est des industries culturelles, deux obstacles majeurs constituent, à notre sens, un frein à son développement :
1. Le facteur économique : depuis plusieurs décennies, l’Algérie fonctionne selon un système économique à base de rente (revenus issus des ressources naturelles, gaz et pétrole surtout). L’accumulation de la rente et sa distribution constitue de ce fait l’activité économique principale du pays –si on peut la considérer comme telle– ce qui rend factice l’objectif principal des économies de marché, à savoir produire un surplus accumulable par la production et le rapport salarial. Ainsi, la rente est-elle un surplus d’origine extérieure au système productif qu’elle intoxique plutôt qu’elle ne dynamise de ses effets (re)distributifs[1]. De ce fait, sur le plan macroéconomique, le système à base de rente, par son incapacité à maîtriser un principe fondamental de l’économie de marché qui est de générer du profit, est en soi un frein à la production. Comme l’ensemble des composantes des autres secteurs d’activité, les industries culturelles sont victimes de cette logique rentière. Leur développement, et par conséquent les surplus qu’elles peuvent générer, ne sont pas une priorité. Ainsi, la priorité aujourd’hui pour un éditeur par exemple (un secteur qui profite de subventions très importantes), n’est pas de publier des livres de qualité pour les vendre sur le marché et ainsi générer des profits. Sa priorité est d’avoir une subvention du ministère de la Culture qu’il considère comme un droit dans le cadre de cette logique de distribution de la rente. Une grande partie des livres édités jusqu’ici dans le cadre des grandes manifestations culturelles sont souvent des mémoires de master que les éditeurs vont directement chercher dans les bibliothèques universitaires, pour les présenter ensuite au ministère selon les besoins en « thème » de la manifestation en question. Ces publications sont souvent détruites quelques jours après leur publication sans qu’elles puissent arriver aux lecteurs car il n’existe pas de circuit de distribution.
2. Le facteur politique, à travers la restriction de la liberté d’entreprenariat culturel : depuis l’indépendance de l’Algérie, l’entrepreunariat dans le secteur culturel a constitué une vraie phobie pour les autorités qui l’ont toujours regardé d’un mauvais œil et ont tenté par tous les moyens de limiter son essor. Les secteurs culturels indépendant et privé sont de ce fait souvent montrés du doigt en utilisant des arguments variés et divers, allant de la lutte contre le capitalisme aux dangers des productions qu’ils génèrent sur les composantes identitaires de la nation, etc. Mais cette tendance s’est particulièrement accentuée depuis le début des années 2000. Plusieurs mécanismes ont été instaurés dans ce sens pour contrôler la production cinématographique, l’édition, ou encore le spectacle vivant. Ainsi, les livres et les scénarios sont soumis à des comités de lecture (dont on ignore les noms des membres, le mode de fonctionnement, etc.), et les organisateurs de spectacle doivent avoir une « licence de promoteur de spectacle ». Seules 28 licences ont été octroyées jusqu’ici pour des personnes souvent très proches du ministère. On peut aussi citer l’exemple du sponsoring où, pour qu’elle puisse bénéficier des avantages fiscaux dans le cas d’un sponsoring, une entreprise doit faire au préalable une demande au ministère de la Culture. Celui-ci, après vérification de l’activité que l’entreprise veut sponsoriser, donne (ou pas) son accord pour que cette entreprise puisse bénéficier de cet avantage fiscal.
Sortie d’une guerre civile qui a duré dix ans (1990-2000) et qui a profondément bouleversé la structure de la société, l’Algérie a mis, ces dernières années, des moyens financiers importants pour bâtir un secteur cultuel fort, capable de renforcer la cohésion sociale[2] et de contribuer au développement humain, social et économique du pays.
Mais imprégné par les réflexes de la politique culturelle coloniale et de l’économie dirigée, le mode de gouvernance choisi pour gérer le secteur culturel depuis 2000 s’est avéré contre-productif : atteintes à la liberté d’expression artistique, atteintes à la liberté d’’entreprenariat culturel, folklorisation…, sont autant d’aspects qui marquent et caractérisent le secteur culturel en Algérie aujourd’hui. S’en débarrasser est en soi un défi qu’il faut absolument surmonter. Pour ce faire, un ensemble d’actions urgentes sont à entrepreneur, notamment la recentralisation du ministère de la Culture vers son cœur de métier, à savoir la régulation et l’encouragement de la société civile et le secteur privé d’entreprendre dans le secteur culturel. Plus spécifiquement, il s’agit de :
1. Rédiger une politique culturelle claire, en concertation avec la société civile, et approuvée par le gouvernement : dans le but de fixer les objectifs et les moyens pour atteindre des cibles précises, et dans laquelle le ministère de la Culture joue uniquement le rôle de régulateur et non pas d’entrepreneur.
2. Libérer les institutions culturelles d’une tutelle trop rigide du ministère de la Culture : concevoir des nouveaux statuts pour ces institutions pour les doter d’une plus grande autonomie effective morale et financière.
3. Renforcer la médiation et la communication culturelle : au sein des institutions culturelles et dans les établissements scolaires, dans le but de capter les publics.
4. Créer des formations académiques dans les métiers des arts et de la culture : dans le but de former des managers culturels, des médiateurs cultuels, des administrateurs culturels, etc.
5. Encourager, effectivement, les investissements privés dans le secteur culturel : en assouplissant notamment les conditions d’obtention de la licence de promoteur de spectacle, de réduire les subventions dans le secteur de l’édition…
6. Impliquer le secteur privé dans le financement de la culture en renforçant notamment les dispositifs d’exonération fiscale et en communicant autour des mesures prises.
7. Assouplir les conditions de création d’association artistique et culturelle : mais pour cela il faut passer par la modification de la loi n° 12-06 du 12 janvier 2012 relative aux associations.
8. Augmenter le budget consacré au secteur culturel indépendant (société civile) : le faire passer de 0,2% du budget global du ministère de la Culture à un minimum de 5% dans un premier temps.
9. Renforcer les capacités du secteur culturel indépendant : à travers des ateliers de formations en gestion des projets culturels, de recherche de financement, etc.
- [1] Amarouche, A., 2004, Libéralisation économique et problèmes de la transition en Algérie, Thèse de doctorat en Sciences économiques, Lyon II.
- [2] « Le vide laissé par le déficit culturel a vite été comblé par une vision réductrice et vindicative de la religion qui n’a pas tardé à être exploitée dans le cadre de stratégies violentes visant à l’accaparement du pouvoir et qui allèrent en Algérie jusqu’à leur plus extrême manifestation durant la « Décennie noire ». Les intellectuels animant la vie culturelle du pays furent une cible privilégiée de ce terrorisme sans foi ni loi. ». Abdelaziz Bouteflika. Discours. Alger, Capitale de la Culture Arabe, 2007.