3. Législation et Financement
3. Législation et Financement
Législation
Dès son indépendance en 1962, l’Algérie a commencé à légiférer dans le secteur culturel pour gérer les infrastructures existantes. Globalement, trois périodes ont marqué l’histoire de la législation et la règlementation culturelles en Algérie :
Première période (1962-1988) : Entre 1962, date de l’indépendance de l’Algérie et 1988, date des violentes émeutes qui ont mis fin au socialisme pour ouvrir la porte au multipartisme et à l’économie de marché, le nombre des textes législatifs et réglementaires relatifs au secteur culturel n’a pas été très important. Les textes publiés dans cette période allaient pratiquement tous dans le sens d’une politique culturelle socialiste, caractérisée par la prédominance des autorités sur les structures et les organismes culturels. Ces textes concernaient surtout les statuts et les modes d’organisation des organismes culturels publics dans le domaine du cinéma.
Deuxième période (1988-2002) : Cette deuxième période, marquée par l’arrêt du processus électoral en 1991 dans un contexte de crise économique puis une crise sécuritaire majeure, a connu pratiquement l’arrêt de la législation et la règlementation culturelles. Ceci était dû au quasi arrêt des activités du ministère en charge de la culture : le gouvernement, dépassé par la crise économique et sécuritaire, a abandonné le secteur culturel. Il avait dès 1994 cessé de financer les structures culturelles publiques pour ne financer que quelques petits projets artistiques. Face à cette réalité, le Théâtre national Algérien (TNA), mais aussi le Théâtre régional d’Oran (TRO) et le Théâtre régional de Constantine (TRC) ont fermé leurs portes pour ouvrir plusieurs années plus tard, au début des années 2000.
Troisième période (2002-2014) : Après que les situations économique et sécuritaire se sont améliorées, le ministère en charge de la culture a repris des forces dès 2002, une année marquée par l’arrivée de Khalida Toumi, ministre de la culture qui est demeurée en poste jusqu’en 2013 avant de laisser la place à l’actuelle ministre de la culture Nadia Labidi. Dopé par un budget de plus en plus important à partir de 2003, le ministère de la Culture a fait de la législation et de la règlementation culturelle un moyen pour réorganiser le secteur et instaurer sa stratégie. Ainsi, une législation et une règlementation très denses ont marqué cette troisième période sur laquelle nous allons nous concentrer dans le présent rapport. Ce choix est motivé par le fait que cette période, en plus du fait qu’elle a connu la publication dans le journal officiel d’un nombre très important de textes législatifs et réglementaires décisifs, elle a vu s’opérer des bouleversements majeurs dans le secteur culturel, qui ont considérablement modifié le paysage culturel et artistique en Algérie.
La législation et réglementation culturelle en Algérie (2002-2014) : La période allant de 2002 à 2014 est la plus importante à analyser, en ce sens où elle constitue une rupture avec les périodes précédentes, et ceci par le nombre très important de textes législatifs et réglementaires publiés et l’impact profond que ceux-ci ont opéré sur le secteur culturel et artistique.
L’arrivée en 2002 de la ministre de la culture Khalida Toumi a été de paire avec une évolution croissante du budget de la culture que le gouvernement a dopé par des enveloppes spéciales qu’il a débloquées pour financer des manifestations culturelles d’envergure (Année de l’Algérie en France, Alger capitale de la culture Arabe, Festival panafricain d’Alger, Tlemcen capitale de la culture Islamique, Cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie, Constantine capitale de la culture Arabe). Cette manne financière a permis de lancer plusieurs projets dans le secteur (création de nouveaux organismes, organisation de plusieurs festivals, etc.) qu’il fallait accompagner par une panoplie de textes censés leur donner un cadre légal et structurel.
Nous avons dénombré 548 textes législatifs et réglementaires « importants » relatifs au secteur culturel publiés entre 2002 et 2012[1], mais nous estimons que le nombre réel dépasse en 2014 les 1200 textes si on prend en considération d’autres textes relatifs notamment aux nominations, remplacement et cessation de fonctions de personnels du ministère de la Culture et des membres des conseils d’administration des organismes culturels, etc.
Parmi les 548 textes que nous avons dénombrés dans cette décennie, 297 sont des arrêtés[2] ministériels, 119 sont des arrêtés interministériels, 130 décrets[3], une seule ordonnance[4] et une seule loi[5] (voir le tableau 01 ci-dessous).
Année |
Arrêtés |
Arrêtés Inter. |
Décrets |
Ordonnances |
Lois |
TOTAL |
2012 |
33 |
24 |
19 |
0 |
0 |
76 |
2011 |
52 |
9 |
14 |
0 |
1 |
76 |
2010 |
49 |
12 |
12 |
0 |
0 |
73 |
2009 |
32 |
16 |
19 |
0 |
0 |
67 |
2008 |
41 |
7 |
16 |
0 |
0 |
64 |
2007 |
20 |
9 |
14 |
0 |
0 |
43 |
2006 |
30 |
15 |
5 |
0 |
0 |
50 |
2005 |
27 |
10 |
19 |
|
0 |
56 |
2004 |
4 |
12 |
2 |
0 |
0 |
18 |
2003 |
5 |
1 |
9 |
1 |
0 |
16 |
2002 |
4 |
4 |
1 |
0 |
0 |
9 |
TOTAL |
297 |
119 |
130 |
1 |
1 |
548 |
Il est à noter que, de seulement 9 textes réglementaires publiés en 2002, ce nombre est passé à 76 textes en 2011 et 2012. L’évolution de ce nombre suit globalement la tendance à la croissance du budget du ministère de la Culture : plus ce budget est important, plus le nombre de textes législatifs et réglementaires l’est aussi. Par ailleurs, la mise en œuvre de ces textes a été effective et réelle dans ses aspects de gestion et de financement des institutions publiques mais aussi de restrictions des initiatives indépendantes, ce qui a renforcé la stratégie hégémonique du ministère de la Culture.
Financement
Le secteur culturel en Algérie est majoritairement financé par l’Etat. Le secteur privé n’y contribue que symboliquement malgré une batterie de mesures fiscales favorisant largement le financement de la culture par ce secteur[7]. L’origine de ce paradoxe réside dans la faiblesse de la communication autour de ces mesures, mais surtout dans l’absence d’une culture de sponsoring et de mécénat.
Alors que le budget consacré à la culture était de 64,4 millions de dollars américains en 2003, il est passé à 313,8 millions de dollars en 2014, soit une augmentation de 387% en à peine 11 ans. Le ministère de la Culture en Algérie est devenu ainsi le ministère de la Culture le plus riche d’Afrique et de la région arabe. Cette évolution s’explique par l’augmentation du budget de l’Etat, qui a été multiplié par 6 entre 2003 et 2014, suite à la flambée du prix du pétrole. A regarder de près, la part du budget de la culture du budget de l’Etat n’a pratiquement pas changé entre 2003 et 2014 (respectivement 0,6% et 0,5%), exception faite des années 2009, 2011 et 2012 où il a atteint le seuil de 1% (voir tableau 07 ci-dessous).
Année |
Budget de la culture selon LF |
Budget réel de la culture |
Evolution |
Budget de l'Etat |
Part B. Culture du |
2014 (1) |
313,8 |
313,8 |
14% |
58 634,5 |
0,5% |
2013 |
276,3 |
276 |
-51% |
55 062,3 |
0,5% |
2012 (2) |
261,3 |
561,3 |
24% |
51 228,7 |
1,1% |
2011(3) |
311,7 |
452 |
48% |
37 196,3 |
1,2% |
2010 |
306,1 |
306,1 |
-15% |
38 596,7 |
0,8% |
2009 (4) |
206,8 |
360 |
185% |
35 274,8 |
1,0% |
2008 |
126,3 |
126,3 |
-15% |
23 684,3 |
0,5% |
2007 (5) |
76,5 |
148 |
151% |
16 892,6 |
0,9% |
2006 |
58,9 |
58,9 |
55% |
14 983,3 |
0,4% |
2005 |
38,1 |
38,1 |
-0,5 |
13 638,7 |
0,3% |
2004 |
73,1 |
73,1 |
0,1 |
13 212,9 |
0,6% |
2003 |
64,4 |
64,4 |
/ |
10 932,2 |
0,6% |
(1) Constantine capitale culturelle du monde Arabe l (2) Cinquantenaire de l’indépendance ǀ (3) Tlemcen capital de la culture islamique 2012 l (4) Festival panafricain d'Alger 2009 ǀ (5) Alger capitale de la culture arabe.
Le budget de la culture détaillé pour l’année 2014 permet d’avoir une idée assez précise sur les postes de dépenses du ministère de la Culture. Ainsi, 49% du budget du ministère de la Culture est destiné à subventionner les différentes institutions culturelles publiques, 21,8 % est destiné à l’organisation des évènements culturels et cinématographiques (festivals surtout) et 15% sont attribués comme contribution pour le financement de la manifestation « Constantine capitale de la culture Arabe 2015 ». Seulement 2,79% du budget du ministère est destiné aux associations culturelles et artistiques, ce qui reflète la stratégie hégémonique de l’Etat en matière de culture (voir tableau 08 ci-dessous).
Services centraux et déconcentrés |
|||
|
Montants (DZD) |
Montants ($) |
% |
Personnel - Rémunérations d’activités |
1 819 956 000 |
22 635 157 |
7% |
Personnel - Pensions et allocations |
3 042 000 |
37 834 |
0,01% |
Personnel - Charges sociales |
464 852 000 |
5 781 457 |
2% |
Matériel et fonctionnement des services |
296 528 000 |
3 687 978 |
1% |
Travaux d’entretien |
54 695 000 |
680 253 |
0,22% |
Subventions de fonctionnement et d'activités |
12 406 882 000 |
154 306 873 |
49% |
Patrimoine et musées |
3 894 000 000 |
48 430 457 |
15,43% |
Maisons de culture |
1 766 000 000 |
21 964 095 |
7,00% |
Bibliothèques publiques |
1 725 482 000 |
21 460 165 |
6,84% |
Activités théâtrales |
1 090 000 000 |
13 556 548 |
4,32% |
Centres de formation musicale |
663 000 000 |
8 245 864 |
2,63% |
Entreprises cinématographiques |
241 000 000 |
2 997 365 |
0,96% |
Subventions pour d'autres institutions |
3 027 400 000 |
37 652 379 |
12,00% |
Diverses dépenses |
9 957 200 000 |
123 839 688 |
39% |
Conférences et rencontres |
200 000 000 |
2 487 440 |
0,79% |
Organisation des évènements culturels et cinématographiques |
5 500 000 000 |
68 404 600 |
21,80% |
Prix Président de la République "Ali Maachi" |
7 200 000 |
89 548 |
0,03% |
Contribution au Fonds de l'organisation de la manifestation |
4 000 000 000 |
49 748 800 |
15,85% |
Activités éducatives et culturelles |
230 000 000 |
2 860 556 |
1% |
Bourses - Indemnités de stage - Présalaires |
30 000 000 |
373 116 |
0,12% |
Subventions aux associations culturelles |
200 000 000 |
2 487 440 |
0,79% |
TOTAL |
25 233 155 000 |
313 829 795 |
100% |
Footnotes
- ^ Kessab A., 2014, « Législation et réglementation culturelle en Algérie », Ed. El Mawred El Thaqafy, Le Caire.
- ^ Un arrêté est une décision exécutoire à portée générale ou individuelle émanant d’un ou plusieurs ministres (arrêté ministériel ou interministériel).
- ^ Un décret est un acte exécutoire à portée générale ou individuelle pris par le Président de la République ou par le Premier ministre qui exerce le pouvoir réglementaire.
- ^ Une ordonnance est une mesure prise par le gouvernement dans des matières relevant normalement du domaine de la loi. Le gouvernement ne peut prendre des ordonnances que s'il y a été habilité par le Parlement. Assimilées à des règlements, les ordonnances entrent en vigueur dès leur publication. Elles ne prennent toutefois valeur législative qu'après avoir été ratifiées par le Parlement dans un délai fixé.
- ^ Une loi est un texte adopté par le Parlement et promulgué par le Président de la République, soit sur proposition des parlementaires (députés ou sénateurs), soit à partir d'un projet déposé par le gouvernement. Elle est une disposition prise par une délibération du Parlement par opposition au "règlement" qui est émis par une des autorités administratives auxquelles les lois constitutionnelles ont conféré un pouvoir réglementaire.
- ^ Kessab A., 2014, « Législation et réglementation culturelle en Algérie », Ed. El Mawred El Thaqafy, Le Caire.
- ^ Kessab A., 2012. « A propos de l’article de M. Nouri Nesrouch sur la loi relative au sponsoring/mécénat dans le secteur culturel en Algérie ». Publié sur le Site de l’Action Culturelle Algérienne (dernière consultation 20.01.2015) : http://www.alger-culture.com/readarticle.php?article_id=550
- ^ Kessab A., Benslimane D., 2012, “Etude comparative sur certains aspects des politiques culturelles en Algérie, Egypte, Maroc et Tunisie” (actualisé en 2014), El Mawred.
- ^ Journal Officiel de la République Algérienne. 53èmeClick and drag to move année. N°10.